Soutenances 2023

Yuka SAITO | UA | 12 janvier | Entre discours et sensibilités gustatives. Le goût dans l’œuvre de Grimod de la Reynière (XVIIIe-début du XIXe siècle)

Direction: Florent Quellier

Cette thèse a pour objet de rechercher la notion de goût et les sensibilités gustatives exprimées dans les ouvrages gastronomiques de Grimod de La Reynière : l’Almanach des Gourmands (1803-1812, 8 volumes) et le Manuel des Amphitryons (1808). Basée sur une approche textométrique, notre analyse porte sur les représentations du goût chez Grimod, en les confrontant avec celles figurant dans d’autres écritures contemporaines, à savoir les livres de cuisine, les traités de civilité et les ouvrages de critique d’art. La textométrie illustre clairement que le discours gastronomique de Grimod tend à juger et à hiérarchiser les aliments. Ce rôle de critique est notamment joué par le Jury dégustateur, qui incarne une faculté du jugement gustatif supposée être infaillible. Inspiré de la critique d’art et des sociétés littéraires du XVIIIe siècle, Grimod invente ce jury composé de gourmands éclairés. S’éloignant de l’image du glouton stigmatisée par la civilité moderne, ceux-ci se manifestent comme dégustateurs professionnels qui participent à la création de la réputation dans le commerce alimentaire. Chemin faisant, le goût sensuel est valorisé afin de le hisser au rang du goût intellectuel. Tout en s’inscrivant dans la sensibilité culinaire du XVIIIe siècle, Grimod met en relief, par cette démarche de légitimation, les produits alimentaires de terroir réputé, les restaurateurs et les commerçants de bouche jugés les meilleurs, dont les noms deviennent des marques. L’auteur joue ainsi le rôle d’un passeur culturel du goût entre les élites françaises de l’Ancien Régime et les nouveaux consommateurs du XIXe siècle, en intégrant le système méritocratique dans le domaine alimentaire.

Jean-Philippe LEGOIS | UA | 7 avril | Les archives orales à l’épreuve de l’histoire et des mémoires des contestations étudiantes des années 1968

Direction: Patrice Marcilloux

Partant du truisme que ces « archives » sont souvent qualifiées de « provoquées », nous nous sommes demandé si elles ne sont pas plutôt co-construites par les enquêteurs et les enquêtés ou, plus exactement, par les témoins et les témoignaires. Ceci nous a amené à nous interroger sur la place et le rôle de tout·e archiviste dans le travail de mémoire, mais aussi de tout·e chercheur·e, de tout·e témoin. Cela nous a fait rebondir sur une autre question : comment compter, conter archivistiquement ? Nous avons tenté d’y répondre à partir de la période et des terrains choisis, c’est-à-dire les contestations estudiantines des années 1968 Nous avons comparé les contextes de production, les « régime(s) de mémorialité » et les mises en récit de différentes campagnes de collecte de témoignages oraux portant pleinement ou partiellement sur les contestations étudiantes des années 1968, en France et à l’étranger, mais aussi de la « campagne de campagnes » de la Cité des mémoires étudiantes à laquelle je participe dès son lancement. Dans un dernier chapitre, nous avons expérimenté une démarche de recherche-action dans le champ de l’archivistique et dans la perspective d’une archivistique d’intervention afin de dessiner plusieurs cercles vertueux collectes / valorisations / restitutions, spirales que nous appelons des « remue-mémoires ».

Yajaira VARGAS-VELASQUEZ | UBS | 25 mai | Naufrages et sauvetages des navires, notamment bretons, engloutis dans la mer des Caraïbes du XVIe au XVIIIe siècle

Direction: Sylviane Llinares, Michel L’hour

Hubert DELORME | UA | 3 juillet | Économie de la table à Rennes à la Renaissance, mi XVe -début XVIIe siècle

Direction: Florent Quellier

La Renaissance est une période importante pour l’histoire des cultures alimentaires en Occident. Elle marque une transition décisive entre la culture alimentaire médiévale et la modernité culinaire des XVIIe et XVIIIe siècles français. L’étude d’une longue Renaissance (mi XVe-début XVIIe siècle) offre de réelles possibilités de compréhension et d’analyse de cette transition peu étudiée, grâce à des sources plus nombreuses qu’aux siècles précédents, notamment pour la ville de Rennes, capitale de la province bretonne dont les cultures alimentaires demeurent encore largement méconnues. Nous nous sommes appuyés sur la notion « d’économie de la table », comprenant la dimension de la production et des approvisionnements, mais également des choix politiques, ceux d’une fiscalité alimentaire et de la construction d’infrastructures, sans oublier les aspects sociaux avec les règlementations et les modalités de la prise de nourriture par les différentes catégories de la population. Celles-ci sont bien présentes dans nos sources grâce aux nombreuses mises et aux livres de comptes, lesquels peuvent être croisés avec des sources imprimées et les résultats de fouilles archéologiques. Les repas des privilégiés sont les mieux représentés dans notre documentation, avec notamment une économie du don qui est développée et assez encadrée. Certains grands repas de la communauté de ville, surtout pendant la période ducale, ceux de certaines communautés religieuses et des hôpitaux, bien documentés, permettent parfois une analyse sérielle, et laisse entrevoir une culture culinaire et de table variée. L’économie domestique, avec son mobilier spécifique, ses techniques culinaires, ses horaires et son calendrier menso-liturgique fait suite, dans l’analyse, à l’économie productrice et marchande. L’étude se termine par les contraintes religieuses, symboliques et matérielles, lesquelles n’empêchent pas les plaisirs de la table, en gras comme en maigre, notamment pour les privilégiés. Qu’elle soit ordinaire, festive ou extraordinaire, l’alimentation à Rennes à la Renaissance permet à cette thèse d’aller plus en avant dans la reconstitution des choix et des contraintes des différentes prises alimentaires. Elle débouche sur une question d’importance : existe-t-il une identité alimentaire « Renaissante » à Rennes, voire propre à cette capitale ?

Alexandre MILLET | UA | 28 septembre | Les mémoires des prisonniers de guerre français du Stalag 325 de Rawa-Ruska (1945-2010)

Direction: Yves Denéchère

La thèse examine la construction des mémoires de la captivité au Stalag 325 dit de représailles entre 1945 et 2010. L’étude consiste tout d’abord à identifier les « entrepreneurs de mémoire » (Michael Pollak, 1993), individuels ou collectifs qui ont perpétué le souvenir de cette captivité située dans le Gouvernement Général de Pologne occupé. L’« Amicale nationale du Stalag disciplinaire 325 ceux de Rawa-Ruska », créée le 3 avril 1945, est à ce titre la figure de proue. Ensuite, il s’agit de déconstruire les stratégies discursives employées par les différents entrepreneurs pour raconter les expériences personnelles ou collectives de cette captivité, en particulier dans le cadre des revendications des titres d’interné et de déporté résistant. La thèse interroge enfin les modalités de transmission au sein des familles d’anciens prisonniers afin d’identifier les facteurs d’appropriation, de désintérêt ou d’abandon du souvenir de la captivité au Stalag 325 chez ses membres. L’étude permet notamment de définir deux « régimes de mémoire » (Johann Michel, 2005 ; François Hartog, 2003) : une première période durant laquelle la figure du « résistant de Rawa-Ruska » est prédominante dans les discours produits entre 1947 et 1960 entrant directement en résonnance avec le mythe résistancialiste. Elle connait son acmé avec l’obtention du titre d’interné résistant pour les anciens du 325 en 1956. La seconde période est caractérisée par l’enjeu principal de reconnaissance du titre de déporté résistant pour les anciens du 325 entre 1960 et 2010. La figure du « déporté de Rawa-Ruska » est légitimée par un discours fondé sur les souffrances des PGF détenus au Stalag 325 et par le réemploi de la mémoire des victimes des déportations allemandes, y compris juives dès 1960-1970 – bien avant « l’ère des témoins » (Annette Wieviorka, 1998) – par d’anciens du 325 revendiquant la posture de « témoin » des exterminations.

Louise COUËFFÉ | UA | 5 octobre | Plantes, terrains et cultures botaniques : herboriser dans l’Ouest de la France au XIXe siècle

Direction: Yves Denéchère

Au XIXe siècle, des individus de différents âges, genres et conditions sociales, vont dehors et collectent des plantes pour faire des herbiers. La diversité des collections qu’ils produisent et des sources écrites qui les documentent interroge les multiples cultures botaniques dans lesquelles s’inscrit cette activité de collecte. Les collectes pédagogiques, les herbiers souvenirs constitués lors des voyages, dans des jardins, attestent d’une pratique appropriée à différentes fins. Le positionnement des collecteurs en tant qu’amateurs de sciences est étudié relativement à leurs pratiques, à leurs savoirs, ainsi que suivant les réseaux d’herborisation et les sociétés savantes dans lesquels ils s’inscrivent. Les inventaires floristiques fondent les limites et l’identité de l’Ouest de la France comme espace botanique, défini par des facteurs sociaux et biologiques, où la nature « sauvage » est recherchée. La compréhension du végétal s’inscrit dans des cadres théoriques mouvants sur la notion d’espèces et de vivant. Elle implique le transport du végétal dans différents espaces, tels que les jardins, les laboratoires, les musées.

Elsa BOCHER | UBS | 4 décembre 2023 | Du no man’s land à la colonie, histoire de la mise en valeur des ressources naturelles des îles australes aujourd’hui françaises, des années 1780 aux années 1930

Les travaux ont été dirigés par Sylviane Llinares †

Aujourd’hui françaises, classées réserve naturelle nationale depuis 2006, les îles Saint-Paul, Amsterdam, Crozet et Kerguelen sont exploitées comme des no man’s land dès la fin du XVIIIe siècle par des  phoquiers et baleiniers venus de tous horizons en quête de fourrures d’otarie, d’huile d’éléphant de mer ou de baleine. À partir des années 1820, Saint-Paul et Amsterdam attirent aussi des goélettes de la Réunion ou Maurice qui pêchent la “fausse-morue”, puis la langouste. Ce manuscrit s’attache à reconstituer l’histoire de 150 ans d’exploitation des ressources naturelles de ces îles australes pour comprendre avec quel héritage doit composer la France lorsqu’elle y (ré)affirme sa souveraineté à la fin du XIXe siècle et, in fine, le glissement de la mise en valeur des ressources, d’une exploitation  prédatrice vers une gestion plus raisonnée aux multiples enjeux, économiques, environnementaux, géopolitiques.
À partir de cartes, la 1ère partie analyse l’évolution des conditions matérielles et juridiques d’accès aux ressources et met en lumière la mise sous concession de la nature. La 2nde partie s’intéresse aux acteurs, modalités et finalités de l’exploitation des ressources halieutiques. Elle s’appuie sur la construction d’une base de données temporelle et spatiale, SPACK, consacrée aux voyages de chasse et pêche (pavillon, activité…). Les flux sont mondialisés : la micro-histoire rejoint l’histoire globale. Enfin, la 3ème partie s’arrête sur les premières politiques publiques de gestion de la nature mises en œuvre par la France aux marges australes de son empire, notamment la genèse du parc national de refuge pour certaines espèces d’oiseaux et de mammifères créé en 1924.